L'uranium
appauvri (UA) est devenu, au fil des années, une matière première d'utilisation
banale : au total, plus d'un million de balles et d'obus à l'UA ont été
tirés lors des guerres du Golfe, de Bosnie et du Kosovo ; plus d'un millier
d'avions ont été équipés de contrepoids à l'UA et plusieurs centaines d'entre
eux survolent encore nos territoires ; l'UA est couramment utilisé pour fabriquer
des conteneurs pour les sources et les déchets radioactifs ; l'artisanat a
également recouru à l'UA pour la coloration des verres et des émaux.
Cet engouement s'explique par les qualités
particulières de ce métal gris argenté :
densité exceptionnelle, propriétés pyrophoriques, pigmentaires, coût modique, et disponibilité absolue : près d'un million de tonnes sont entreposées de par le monde.
Le
problème, c'est que l'uranium appauvri est aussi une substance radioactive,
toxique tant sur le plan chimique que radiologique. La réglementation
impose d'ailleurs que ce sous-produit de l'industrie nucléaire, soit surveillé
et confiné afin d'éviter toute contamination de l'environnement et de ceux
qui y vivent.
Les utilisations civiles et militaires de l'UA constituent ainsi une violation
flagrante des règles fondamentales de radioprotection. Ces infractions n'ont
pourtant provoqué ni procès, ni sanction. Plusieurs éléments expliquent
que ce développement massif se soit effectué en toute impunité.
Il faut rappeler, en tout premier lieu, le régime très spécial dont a bénéficié l'industrie de l'uranium dès les années 50 : la mise au point de l'arme atomique, puis le lancement des programmes électronucléaire exigeait un fort développement de la production d'uranium et il fallait éviter que les industriels ne soient gênés par des normes sanitaires trop sévères. Cet impératif politico-économique a conduit à de véritables aberrations scientifiques et sanitaires : ainsi la méthode de comptabilisation de la radioactivité des déchets d'extraction de l'uranium qui permet de diviser par plus de 10 000, en toute " légalité ", leur dangerosité réelle. L'uranium devait rester, coûte que coûte, une matière naturelle quasi inoffensive.
La diffusion de l'UA a également été soutenue par la rencontre de l'offre et de la demande : d'un côté des stocks d'UA qu'il faut surveiller pendant des milliards d'années ce qui coûte très cher ; de l'autre des industriels et des gouvernements prêts à payer pour obtenir cette matière qui leur confère un avantage décisif.
La confidentialité des choix a également constitué un atout décisif, surtout pour les utilisations militaires : aux Etats-Unis comme en France, l'adoption de ces armes radioactives s'est faite en dehors de tout processus démocratique.
Enfin, quand des questions ont commencé à être posées, les autorités et leurs experts ont tout mis en oeuvre - propos rassurants, vérités tronquées et jusqu'aux mensonges les plus grossiers - pour clore rapidement le débat.
La CRIIRAD
travaille depuis 1998 sur le dossier de l'uranium appauvri. Les analyses
réalisées alors par son laboratoire sur de la poudre d'émail de couleur
jaune avaient démontré qu'elles contenaient près de 10 % d'UA. Cogéma
approvisionnait la cristallerie Saint-Paul sans que les autorités de contrôle
y trouvent à redire et les poudres uranifères étaient en accès libre dans
les magasins de Limoges et les placards des écoles.
Au printemps 2000, au terme de longs mois de discussions et grâce à la
forte mobilisation de l'opinion, la CRIIRAD a obtenu que l'ajout de substances
radioactives dans les biens de consommation reste interdit. Des objets radioactifs
ne devraient plus parvenir incognito à notre domicile.
Une victoire, certes, mais encore limitée : ni les contrepoids
des avions, ni les obus ne sont considérés comme des " biens de consommation
". Si l'industrie civile (l'aéronautique en particulier) semble limiter progressivement
l'emploi de ce métal radioactif, les applications militaires sont par contre
en plein développement.
Les
armes capables de polluer durablement l'environnement et de contaminer les
populations civiles sont théoriquement interdites par les conventions internationales.
Les Etats-Unis ont passé outre, notre pays aussi et la liste ne fait que s'accroître.
Quand tous les pays seront dotés d'armes à l'UA, tout avantage tactique aura
disparu... mais la pollution restera, et pour longtemps, avec son cortège
de décès, de maladies, de cancers et de malformations.
A-t-on
le droit de fabriquer des armes qui hypothèquent l'avenir de populations innocentes
et font payer aux enfants le plus lourd tribut ?
Cette question doit interpeller chacun de nous et le
soin d'y répondre ne doit pas être laissé à quelques décideurs anonymes.
un article de la
Commision de Recherche et
d' Information Indépendante sur la Radioactivité.
(CRIIRAD), Janvier 2001.